Nouakchott

Interview Ousmane B. Diagana, PDT APS : Préservons la langue comme base de l’identité culturelle soninké

Ousmane Bocar Diagana, Président de l'APS, appelle à la préservation de la langue soninké comme pilier de l'identité culturelle, et explore des solutions innovantes, telles que l’enseignement en ligne et la collaboration avec l'UNESCO, pour relever les défis sociaux.

Image Ousmane Bocar Diagana, Président de l’Association pour la Promotion de la Langue et de la Culture Soninké (APS), rende hommage à son prédécesseur feu Ganda Fadiga, le 27 octobre 2025, à Paris, Île-de-France.
  • Publié le 3 novembre 2025 à 10:59
    Mise à jour 3 novembre 2025 à 11:56
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    Cultures Mauritanie : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?


    Ousmane Bocar Diagana : Je m’appelle Ousmane Bocar Diagana, natif de Kaédi, dans le sud de la Mauritanie. Je suis docteur en sciences du langage, spécialisé en sociolinguistique, diplômé de l’Université René Descartes Paris V – Sorbonne, et j’exerce comme enseignant-chercheur.


    Je suis également engagé dans la promotion de la langue et de la culture soninké à travers plusieurs responsabilités : je préside l’Association pour la Promotion de la Langue et de la Culture Soninké (APS), dont le siège se trouve à Saint-Denis en Île-de-France, le Festival International Soninké (FISo) et la Confédération Internationale des Associations Soninkées (CIAS), qui regroupe les associations faîtières de Mauritanie, Mali, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Sierra Leone, Burkina Faso, ainsi que celles des diasporas africaines, européennes et américaines.


    Dans le domaine linguistique, je suis co-auteur du glossaire français-soninké de l’administration française, publié en 2022 avec le soutien du gouvernement français et du dictionnaire Le Robert, ainsi que de deux manuels pratiques français-soninké, parus en 2024 (NEBEDAY) et 2025 (MARGOSE). Ces publications visent à diffuser et normaliser la langue soninké dans l’administration, l’éducation et la vie quotidienne.




    Cultures Mauritanie :Comment est née la Journée Internationale de la Langue Soninké et pourquoi la date du 25 septembre ?


    Ousmane Bocar Diagana : L’idée de la JILSo est née à l’issue de la 7ᵉ édition du FISo, qui s’est tenue à Nouakchott en février 2023. Après le festival, j’ai rendu visite à l’Ambassadeur délégué permanent du Mali à l’UNESCO, SEM Amadou Opa Thiam, pour le remercier de sa participation et faire un point sur l’événement. Lors de nos échanges, il m’a proposé d’introduire à la prochaine Conférence générale de l’UNESCO un projet de résolution pour consacrer une journée internationale à la langue soninké.


    Ce projet allait au-delà du FISo, dont l’impact est cyclique et limité à certains pays. La JILSo, en revanche, aurait une portée mondiale et permettrait de promouvoir la langue soninké à l’échelle internationale. J’ai immédiatement accepté de m’engager dans ce projet, soutenu par le bureau de l’APS.


    Le choix du « 25 septembre » a été mûrement réfléchi. Nous avons envisagé la date de création de l’APS en 1979, mais les archives exactes n’étaient pas disponibles. Nous avions aussi pensé au 25 décembre, date symbolique de la décision de transformer le forum économique en FISo en 2010, mais cette date coïncidait avec des fêtes religieuses, ce qui pouvait poser problème pour une communauté majoritairement musulmane. Le 25 septembre est donc devenu la date officielle, symbolisant la reconnaissance internationale de la langue et de la culture soninké.


    Cultures Mauritanie : Quelle portée internationale revêt cette Journée et pourquoi suscite-t-elle l’intérêt de l’UNESCO ?


    Ousmane Bocar Diagana : La Journée Internationale de la Langue Soninké (JILSo) constitue une consécration majeure pour la communauté soninké. Reconnaître notre langue et notre culture à travers l’UNESCO offre une visibilité mondiale à une communauté dispersée mais unie. Chaque 25 septembre, les Soninkés d’Afrique, d’Europe et d’Amérique se rassemblent, et la communauté internationale porte un intérêt accru à notre riche héritage culturel et linguistique. Cette célébration prolonge également l’esprit du Festival International Soninké (FISo), moment de rencontres et de réflexion sur notre langue, nos valeurs et nos traditions.



    L’UNESCO s’intéresse particulièrement à cette initiative pour plusieurs raisons : le soninké est une langue transfrontalière, parlée au Mali, en Mauritanie, au Sénégal, en Gambie et au-delà, et constitue un pont entre les populations, favorisant le dialogue interculturel et la médiation entre communautés. C’est également une langue minoritaire qui a été menacée de disparition : près de 600 langues ont disparu au cours du siècle dernier, et si la tendance se poursuit, 90 % des langues mondiales pourraient s’éteindre d’ici la fin du siècle.


    La reconnaissance de la JILSo par l’UNESCO s’inscrit dans sa mission de sauvegarde des langues et des cultures menacées. Le soninké joue un rôle concret dans la vie sociale et économique, utilisé par les commerçants, étudiants, opérateurs économiques et guides religieux. Il contribue à créer la confiance entre communautés et à faciliter le dialogue, aligné avec les priorités de l’UNESCO pour la paix, le dialogue interculturel et le développement durable.


    Je tiens également à souligner le rôle des acteurs qui ont permis cette consécration : le Conseil exécutif de l’UNESCO a validé le projet de résolution le 13 octobre 2023, après l’impulsion de l’Ambassadeur délégué permanent du Mali auprès de l’UNESCO, SEM Amadou Opa Thiam. Le Président Adama Barrow, par ses instructions diplomatiques, a également soutenu le dossier, qui a été porté par l’Ambassadeur Ebrima Ousman Camara et le Consul Général Muhamed Magassy.


    Ainsi, la JILSo n’est pas seulement une célébration culturelle : elle réunit les Soninkés à l’échelle mondiale, valorise notre langue et notre culture et attire l’attention de l’UNESCO sur la nécessité de préserver et de promouvoir les langues minoritaires.


    Rares sont les pays d’Afrique où on ne trouve pas de Soninkés, soit en tant qu’autochtones, soit en tant que migrants, commerçants, hommes d’affaires, opérateurs économiques, étudiants, travailleurs, guides religieux, hommes de foi, etc



    Cultures Mauritanie : Quelle est la situation démographique des Soninkés dans le monde ?


    Ousmane Bocar Diagana : Les Soninkés sont dispersés à travers le monde, mais restent fortement attachés à leur langue et à leur culture. Ils conservent des liens solides grâce à des événements culturels comme le Festival International Soninké (FISo) et la Journée Internationale de la Langue Soninké (JILSo), qui renforcent la fierté culturelle et permettent aux membres de la communauté de se réaffirmer, même loin de leur pays d’origine.


    Sur le plan démographique, nous sommes très peu nombreux dans le monde, moins de dix millions, selon nos estimations dans les pays d’origine et dans les diasporas, mais sur le plan organisationnel, les Soninkés sont plus ou moins structurés. La communauté est structurée via des associations locales et internationales affiliées à la CIAS (Confédération Internationale des Associations Soninkées). Parmi elles : AMPLCS-Wagadu Saane en Mauritanie, Wagadu Jiida au Sénégal, ACS-Mali, Sunpoo do Khati en Gambie, U.S.G.D en Guinée, ASSONAM en Côte d’Ivoire, ainsi que Soninkara In America et l’APS en France. Ces associations permettent aux Soninkés de s’identifier, de collaborer et de soutenir des projets communs dans tous les continents.


    Ainsi, malgré la dispersion géographique, les Soninkés restent unis par leur langue, leur culture et leurs structures associatives, ce qui garantit la transmission de leur patrimoine culturel et leur visibilité à l’échelle mondiale


    Cultures Mauritanie : La dispersion des Soninkés freine-t-elle la mobilisation culturelle ?


    Ousmane Bocar Diagana : Malgré la dispersion, les Soninkés se rassemblent avec enthousiasme pour des événements comme le FISo et la JILSo. Ces manifestations fédèrent la communauté autour de la promotion de la langue et de la culture, et créent un sentiment d’appartenance et de fierté. L’adhésion est massive, et les participants sont très motivés, quelle que soit leur situation géographique.


    Ousmane Bocar Diagana :  La communauté soninké fait face à des défis  :


    - Culturels et linguistiques : Harmoniser l’orthographe, publier des textes littéraires et scientifiques, et connecter la langue aux outils numériques.


    - Identitaires : Préserver la langue comme base de l’identité culturelle.


    - Sociaux : Maintenir la solidarité, le respect des aînés et les valeurs traditionnelles face à l’influence de cultures extérieures.


    Pour relever ces défis, nous encourageons l’enseignement en ligne, la production de contenus numériques, la recherche scientifique et la collaboration avec les institutions internationales, y compris l’UNESCO.


    Cultures Mauritanie : La jeune génération peut-elle poursuivre le combat culturel ?


    Ousmane Bocar Diagana : Oui, la jeune génération dispose des outils nécessaires. Elle maîtrise les technologies modernes, le numérique et l’intelligence artificielle, ce qui facilite la diffusion et l’apprentissage du Soninké. La numérisation du glossaire français-soninké, la création de synthèses vocales et l’usage des NTIC permettent aux jeunes de s’approprier la langue et d’assurer sa transmission.


    C’est une responsabilité collective : il faut que les jeunes s’emparent de cette mission, adaptent la langue aux outils modernes et continuent le travail commencé par les générations précédentes.


    Cultures Mauritanie : En quoi les anciens empires soninké influencent-ils l’identité actuelle ?


    Ousmane Bocar Diagana : Les empires historiques comme Wagadu (Ghana) et Koumbi Saleh sont des repères identitaires. Qu’ils soient mythiques ou historiques, ils symbolisent la grandeur et la richesse culturelle des Soninkés. Ces références sont un lien avec le passé et une fierté collective, que la communauté continue de transmettre oralement et dans la recherche historique.




    Cultures Mauritanie : La présence de chefs d’État à vos festivals a-t-elle une signification particulière ?


    Ousmane Bocar Diagana : Oui. La participation de présidents comme Mohamed Ould Ghazouani en Mauritanie, Macky Sall au Sénégal ou Adama Barrow en Gambie traduit le respect et la considération envers la communauté soninké. Elle souligne aussi l’importance économique et culturelle des événements comme le FISo, qui mobilisent des participants venus de plusieurs continents, stimulent le tourisme et valorisent la visibilité internationale du pays hôte.


    Cultures Mauritanie : Quel message souhaitez-vous adresser à a communauté soninké à travers le monde ?


    Ousmane Bocar Diagana :


    Enseigner et diffuser la langue : Le Soninké est le marqueur culturel principal ; sa transmission via le numérique est essentielle.

    Préserver l’identité culturelle : Traditions et valeurs doivent être maintenues et respectées.

    Renforcer l’unité et la solidarité : Ces valeurs historiques doivent être préservées face à l’individualisme global.

    Respecter les aînés : Le droit d’aînesse et le respect mutuel sont des piliers de notre culture.

    S’adapter aux nouvelles technologies : Le numérique et les NTIC doivent être au service de la langue et de la culture.


    Cultures Mauritanie : un mot pour conclure ?


    Ousmane Bocar Diagana : La langue Soninké est plus qu’un outil de communication : c’est la mémoire et l’âme d’un peuple. La JILSo et le FISo sont les instruments qui permettent de la valoriser, de la transmettre et de la faire vivre dans le monde moderne. Ensemble, les Soninkés doivent se mobiliser pour que cette culture perdure et rayonne à l’échelle mondiale.

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