Nouakchott

Interview Bouna Ameida : En Mauritanie, les comédiens sont perçus comme des pratiquants de “l’hérésie culturelle”

Le principal obstacle au développement du théâtre en Mauritanie réside dans la perception négative de la société. Bien qu’il ait été longtemps méconnu, il est désormais reconnu. L’État doit soutenir cet art pour changer cette perception.

Image Le comédien Bouna Ould Ameida, lors d’une interview avec Cultures Mauritanie | Nouakchott 30 Avril 2025
  • Publié le 7 juillet 2025 à 09:16
    Mise à jour 11 juillet 2025 à 21:31
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    Cultures Mauritanie : Quel est votre parcours professionnel ?


    Bouna O. Ameida : J’ai appris le métier de comédien sur les planches du théâtre, avant de me tourner vers le cinéma et la télévision. En parallèle, j’ai aussi exercé le journalisme visuel, écrit, sonore et électronique.

    Cultures Mauritanie : Comment évaluez-vous le théâtre mauritanien ?


    Bouna O. Ameida : Le théâtre en Mauritanie en est encore à ses débuts. La plupart des acteurs sont amateurs et nous ne pouvons vraiment parler de “théâtre mauritanien” au sens propre. Il serait plus juste de parler de “l’expérience théâtrale mauritanienne”. Cette expérience a donné naissance à quelques œuvres respectables, bien que rares, mais il reste beaucoup à faire pour établir un véritable théâtre.


    Cultures Mauritanie : Quels sont les thèmes majeurs du théâtre mauritanien ?

    Bouna O. Ameida : Le théâtre mauritanien aborde une variété de sujets, sauf ceux qui vont à l’encontre de la Charia. Pour moi, une œuvre qui contrevient à la loi islamique ne peut être considérée comme de l’art. Personnellement, je préfère jouer des personnages sérieux et respectueux des valeurs morales, mais je suis prêt à explorer tous types de rôles.

    Cultures Mauritanie : Comment le théâtre allie-t-il divertissement et critique de la société ?

    Bouna O. Ameida : Un vrai comédien doit traiter les problèmes de la société de façon honnête, sans filtre. L’art doit mêler divertissement et critique sociale. Malheureusement, de nombreux artistes privilégient le divertissement au détriment de la réflexion, ce qui mène à un art de moindre qualité. Un véritable art doit éclairer les réalités sociales et offrir un message sincère.


    Cultures Mauritanie : Le théâtre mauritanien reflète-t-il la diversité culturelle ?

    Bouna O. Ameida : Nous choisissons nos acteurs en fonction de leur compétence et de leur professionnalisme. L’art qui repose sur du clientélisme ou sur des choix subjectifs n’est pas un véritable art. Un art inclusif, fondé sur des critères objectifs, aura un impact positif. Le contraire serait de ‘’l’art perturbateur’’ .


    Cultures Mauritanie : Pourquoi le théâtre est-il rarement inclus dans les événements culturels ?

    Bouna O. Ameida : Le théâtre demande des équipements techniques spécifiques et un cadre adapté, ce qui n’est pas toujours le cas pour d’autres formes d’art comme la musique ou la poésie. Cela explique pourquoi il est souvent omis des événements culturels. De plus, la qualité des productions théâtrales est parfois insuffisante, ce qui conduit à leur exclusion des grands événements.


    Le comédien Bouna O. Ameida, lors d’une interview avec Cultures Mauritanie | Nouakchott 30 Avril 2025



    Cultures Mauritanie: Les comédiens mauritaniens peuvent-ils vivre de leur art ?

    Bouna O. Ameida : Pour parler honnêtement, aucun comédien en Mauritanie ne peut vivre exclusivement de son art. Le théâtre ne permet pas d’assurer des revenus stables, et les comédiens doivent souvent exercer d’autres métiers pour subvenir à leurs besoins. Un véritable développement du théâtre nécessite plus de professionnalisme et un soutien accru de l’État.

    Cultures Mauritanie : L’État mauritanien soutient-il le théâtre, tant financièrement qu’artistiquement ?

    Bouna O. Ameida : Il existe des aides financières de la part du Ministère de la Culture, mais elles restent insuffisantes pour garantir un environnement artistique de qualité. Bien que nous recevions parfois un soutien pour participer à des événements ou des festivals, ce n’est pas suffisant pour assurer une production théâtrale digne de ce nom. Le manque de moyens financiers affecte directement la qualité des œuvres.

    Cultures Mauritanie : Quelle est la perception du théâtre dans la société mauritanienne ?


    Bouna O. Ameida : Le principal obstacle au développement du théâtre en Mauritanie est le regard de la société. Beaucoup considèrent les comédiens comme des pratiquants d’une “hérésie culturelle”, une pratique étrangère à notre héritage. Cette perception a empêché plusieurs générations de jeunes de s’engager dans cet art. Elle est également à l’origine du manque de soutien de l’État pour créer des institutions de formation dans les métiers artistiques. Pourtant, le théâtre est aujourd’hui un art reconnu, et il est temps que l’État soutienne son développement pour inverser cette perception.

    Cultures Mauritanie : Le théâtre peut-il contribuer à un changement des mentalités ?

    Bouna O. Ameida : Le public grandissant révèle que l’art, et particulièrement le théâtre, joue un rôle fondamental dans le changement des mentalités. Il permet d’aborder des sujets sensibles qui sont difficiles à traiter dans la presse. Si l’État et la société mauritanienne souhaitent réellement faire évoluer les mentalités, ils doivent inclure le théâtre et les autres formes d’art dans leurs stratégies de développement social.

    Cultures Mauritanie : Le théâtre peut-il contribuer à raviver le patrimoine national ?




    Bouna O. Ameida : Le théâtre est un moyen efficace de préserver et de revendiquer notre patrimoine culturel. À travers l’art, nous pouvons faire revivre l’histoire et les valeurs esthétiques de notre peuple. Je lance un appel aux autorités pour qu’elles investissent dans les jeunes talents, afin de revendiquer notre patrimoine et de le transmettre aux générations futures, notamment à travers des productions théâtrales et cinématographiques.

    Cultures Mauritanie : Pourquoi le théâtre mauritanien se limite presque uniquement à la télévision ?

    Bouna O. Ameida : Le théâtre nécessite une scène, des acteurs et un public. Ce qui est diffusé à la télévision n’est pas du théâtre, mais plutôt des productions télévisuelles. Cependant, certains confondent ces deux concepts. Le théâtre a des exigences artistiques spécifiques qui diffèrent de celles de la télévision. Ce malentendu devrait disparaître avec le temps, car le théâtre offre une interaction directe avec le public, contrairement à la télévision  et le cinéma, où l’on peut toujours refaire une scène.

    Cultures Mauritanie : Comment les comédiens s’adaptent-ils aux nouvelles technologies ?

    Bouna O. Ameida :
    Lors de l’arrivée de la télévision, certains pensaient que le théâtre disparaîtrait. Mais avec l’avènement des réseaux sociaux, chacun peut désormais produire et partager du contenu artistique proche de celui des professionnels. Les nouvelles technologies ont été bénéfiques pour nous, car elles nous permettent de toucher un public plus large et de présenter un contenu artistique de qualité accessible en ligne.


    Suivez l'entretien en vidéo sur C'MRTV, notre chaîne YouTube 

  • Rédacteur . profile-pic Hawa Bâ
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