Nouakchott

Reportage Mariem PF : De la maternité précoce à la défense de sa communauté grâce à la planification familiale

Mariem Mint Abdoul Wahab est une accoucheuse et aide-infirmière à Dar Naïm, en banlieue de Nouakchott. Elle s’est distinguée grâce à son parcours dans la planification familiale et son engagement. Ce qui lui a valu le surnom de "Mariem PF".

Image Mariem PF, lors d’un entretien avec Cultures Mauritanie, au poste de santé Tab Teysir à Dar Naïm (Nouakchott). ©CulturesMauritanie
  • Publié le 30 septembre 2025 à 22:52
    Mise à jour 30 septembre 2025 à 23:03
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    Il est 14h au centre de santé de Taysir, appartenant à l’Association pour la Promotion de la Santé à Dar Naïm (APSDN). La cinquantaine, Mariem PF, le foulard rose couvrant sa tête et ses épaules, est entourée de fiches médicales, assistée d'une collègue. Son visage reflète une sérénité nouvelle, fruit de plusieurs années de lutte pour sa santé et celle de son quartier.


    Mariem PF, avec une collègue, Ramatoulaye, au poste de santé Tab Teysirà Dar Naïm (Nouakchott). ©CulturesMauritanie


    Mariem PF a eu son premier enfant à 17 ans. Après trois autres grossesses rapprochées, elle se trouve à un tournant de sa vie. À quatre enfants, dont certains espacés de seulement 12 mois, elle décide de recourir à la planification familiale.


    "Il était nécessaire de prendre soin de ma santé pour offrir un avenir meilleur à mes enfants. Et puis, mon mari était malade et ne travaillait plus. J'ai donc décidé de me tourner vers la planification familiale."


    Convaincre son mari


    Au début, Mariem PF doit convaincre son mari. Ce dernier préfère des pratiques contraceptives traditionnelles. L’accoucheuse, elle, consciente des risques pour sa santé et de l'impact sur sa vie familiale, insiste sur la nécessité de méthodes plus fiables.


    "Si nous continuions sur la méthode traditionnelle, ma santé allait se détériorer. Et je ne pourrais plus m’occuper de nos enfants de la meilleure manière possible", explique Mariem PF.


    Après plusieurs discussions, le mari donne son accord, bien qu'il soit encore hésitant. D’ailleurs, Mariem PF va remarquer de nouvelles réticences quand elle commence à prendre la pilule contraceptive. Le mari évoquait des changements dans leur vie intime qu’il impute à la pilule.


    "Il (le mari) commençait à cacher mes pilules, pensant que cela diminuait mon désir sexuel. Mais pour moi, il s’agissait avant tout de préserver ma santé."


    Finalement, Mariem PF choisit de passer aux injectables, une autres méthode contraceptive plus discrète et sans nécessité de prise quotidienne. « L'injection m’a permis de continuer à gérer ma santé sans friction avec mon mari."


    Résistances socioculturelles


    Du fond de son bureau, au centre Taysir, Fatimata Oumar Diop, Directrice de l’APSDN, révèle « de nombreuses rumeurs infondées qui freinent les femmes. On entend dire qu’après une planification, il faut faire un lavage de l’utérus pour pouvoir donner naissance à nouveau, ou qu’une femme qui utilise le Dispositif Intra-Utérin (DIU) pourrait avoir un enfant avec un stérilet dans la main. »


    Fatimata Oumar Diop, Directrice de l’APSDN, dans son bureau au poste de santé Tab Teysir à Dar Naïm (Nouakchott). ©CulturesMauritanie

    Ces obstacles socioculturels sont confirmés par l’UNFPA. L'agence des Nations Unies, en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, note que la proportion de femmes actuellement mariées ayant des besoins non satisfaits en planification familiale atteint 31 %


    La vision culturelle de la maternité reste centrale. Dans la conscience populaire mauritanienne, l’idée que l’enfant et sa survie relèvent de la volonté divine est prépondérante. Ramatoulaye Gueye, également accoucheuse et aide-infirmière au centre Taysir, note la difficulté de concilier la planification familiale avec ces convictions.


    « Un dicton, en langue peul, dit: ‘’Les enfants sont un don de Dieu. Il faut en avoir beaucoup. Dieu remplira la bouche de chacun d’eux avec du riz ou du sable.’’ C’est-à-dire : Dieu va les nourrir dans toutes les circonstances.»


    Sur ce, la Directrice de l’APSDN reprend pour souligner que « la planification familiale est parfois perçue non comme une démarche de santé, mais comme un défi à la volonté divine. »


    Mme Diop rappelle toutefois que "la Mauritanie est une république islamique. Si la planification familiale était une pratique interdite dans l'Islam, l'État ne l’aurait pas introduite dans nos programmes de santé."


    Obstacles


    La législation mauritanienne exige l’accord préalable du mari pour tout recours à la planification familiale. Cela constitue-t-il un obstacle supplémentaire pour les femmes ? En tout cas, Mariem PF raconte son expérience :


    "Lors de mon premier rendez-vous chez la sage-femme pour prendre la pilule contraceptive, elle m’a renvoyée faute de l’accompagnement de mon mari. J’ai dû revenir une autre fois avec lui."


    Si cette exigence légale est perçue par certains comme un frein, Mariem PF, elle, insiste sur la transparence : « Je sensibilise les familles dans le respect la législation. Pas de PF pour femme non mariée. Pas de PF sans l’accord du mari. »


    En Mauritanie, les centres de santé offrent gratuitement des services de planification familiale. Cependant, les ruptures de stock sont fréquentes, obligeant les spécialistes à prescrire des ordonnances à acheter en pharmacie. « Malheureusement, certaines patientes hésitent à acheter la contraception et préfèrent attendre le réapprovisionnement, ce qui les expose à des risques pour leur santé, notamment celles ayant subi plusieurs césariennes », alerte Mariem PF.


    Dans son engagement de conseiller les femmes sur la planification familiale, les risques ne manquent pas. Mariem PF se souvient même d’une expérience marquante: une femme, après avoir obtenu l'accord de son mari pour une méthode contraceptive, est revenue quelques mois plus tard pour changer de méthode. Mais entre-temps, le mari avait changé d'avis sans que sa femme ne lui en parle. Le mari a alors porté plainte. Heureusement, Mariem PF s’en sortira grâce au consentement initial du mari.


    Au-delà des consultations médicales, l’accoucheuse offre une écoute attentive et un accompagnement personnalisé dans son quartier. Nous la retrouverons d’ailleurs, deux jours plus tard, chez une voisine, Aichettou Mint Mbarek, qui raconte comment Mariem PF l’a guidée vers la planification familiale.


    Mariem PF mène une campagne de sensibilisation auprès de ses voisins de quartier sur les PF. ©CulturesMauritanie


    "Je souffrais d’hypertension artérielle. La grossesse devenait un risque. Et Mariem PF m’a orientée vers la planification familiale. Aujourd’hui, j'ai pu trouver une méthode qui correspond à ma santé."


    "J’explique aux femmes les bienfaits de la PF pour leur santé et celle de leurs enfants. Après, à elles de décider ce qui est le mieux pour leur corps", renchérit Mariem PF.


    Des progrès, mais...


    Dans le cadre de son adhésion à l’initiative FP2030 (le seul partenariat mondial axé sur la planification familiale) la Mauritanie a créé, dès 2020, une ligne budgétaire spécifique destinée à l’achat de contraceptifs. Cet engagement se traduit par un investissement national estimé à 500 000 USD à l’horizon 2026.  L’objectif est de réduire le taux élevé de mortalité maternelle, qui est estimé à 424 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes, selon Enquête Démographique et de Santé de la Mauritanie (EDSM) 2019-2021 Page 297


    L’UNFPA a aussi fourni, en 2023, des contraceptifs d’une valeur de 136 millions USD, contribuant à éviter près de 10 millions de grossesses non intentionnelles et plus de 200.000 décès maternels et infantiles.


    En 2024, le pays a enregistré 130.000 femmes utilisant une méthode contraceptive moderne, contre 68.000 en 2012, portant la prévalence à 11,1 %. Toutefois, des besoins non satisfaits restent élevés, à 21,1 %, confirme le Rapport FP2030 - Track20, 2024.


    Pistes de solution


    Dans le cadre des campagnes sensibilisation sur l'importance de la contraception,  la directrice de l’APSDN informe : «Chaque matin nous avons une séance de sensibilisation personnes qui viennent dans nos structures pour des soins. Et la planification fait partie des thèmes abordés», 


    Et désormais, des leaders religieux mauritaniens autorisent les PF. L’imam Mohamed El Hacen explique : "L’Islam autorise l’utilisation de la contraception pour espacer les naissances et protéger la santé de la mère et de l’enfant. Cela n’entre pas en contradiction avec les enseignements islamiques, au contraire, c'est une mesure prudente et responsable." (Hebdomadaire mauritanien Le Calame, 2023)


    L’UNFPA travaille aussi avec les leaders traditionnels pour lever les barrières sociales et propose des pistes de solution dans son Rapport CAP -2024:


    - Cibler davantage les hommes et les jeunes
    - Renforcer la distribution communautaire des contraceptifs
    - Promouvoir les méthodes de longue durée
    - Réorganiser les centres jeunes
    - Impliquer davantage le secteur privé et la société civile
    - Garantir la gratuité des services pour les jeunes

    Quant à Mariem PF, elle continue à partager son histoire pour aider d’autres femmes à prendre en main leur santé reproductive. Ainsi elle incarne la transformation que permet la planification familiale  "Au-delà de la contraception, la planification familiale est une question de santé et du bien-être", conclut Mariem PF.

  • Rédacteur . profile-pic Mohamed Diop
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